La partie 1 est ici.

Je suis très mal à l’aise vis à vis des clients des restaus que nous choisissons. Je me sens comme ces gros labradors si intelligents qu’ils sont gênés de chier dans la rue. Je me sens mal pour eux. Lorsque je n’avais pas d’enfants, je ne supportais pas les mouflets qui braillaient au restau. Je trouverais tout à fait légitime qu’un jour un restaurateur nous chasse à coups de fourches de son établissement – d’ailleurs j’ai toujours cette peur reptilienne en angle mort quand je mange.
Pour ma défense : on ne peut pas dire que nous cachons notre jeu à l’arrivée dans le restau. Je pense qu’un petit orchestre tzigane bien chaud ferait moins de pagaille que mon couple, mes marmots, ma fille gueulant d’avance, mon fils tapant déjà le pain des voisins, la poussette que je traine et plie en sueur sur la terrasse, cul à l’air. On donne le ton, et ce sera ça non-stop pendant un heure si tout le monde est en forme.

C’est pour ces raisons que dès ce jour 3, nous abandonnons définitivement toute ambition gastronomique. Ca enlève beaucoup de stress. On trouve un restau en bord de Dordogne, idéal, aucun client en terrasse, chaises et tables plastiques, un toboggan à côté, et un patron sosie d’Elvis.

***

« La Guinguette du Pont de Vicq »

Menu Enfant A

Faux-Filet Frites A
Viande parfaitement cuite.

Salade César A-
Une bonne surprise. Enfin une bonne utilisation du balsamique. Bons copeaux de parmesan. Aiguillettes de poulet chaudes et croustillantes, qui ont un tout petit peu abîmé la salade à cause de la chaleur.

Coupe de glace B

***

J’ai fait un rêve politiquement très troublant. J’étais en Dordogne, dans des bureaux, et je rencontrais François Fillon qui voulait me confier un rapport à écrire. Je ne me souviens pas du titre exact, mais il m’avait filé un cahier imprimé qui expliquait tout ce que je devais faire, et c’était écrit genre XVIIIe-XIXe siècle, le papier, les typos.
Le titre de mon travail à rendre était du genre  » Physionomie type des jeunes filles et des jeunes hommes en fonction de leur département de naissance « . Mais dans le rêve le titre était encore plus drôle et plus XVIIIe, plus navigateur, genre  » Physionomie des jeusnes filles ainsi que des jeusnes hommes eut égard du département de France du Roy ou icelles et iceux sont nés « .
Méganazi, comme principe. Mais en même temps, la démarche m’excitait d’un point de vue littéraire, même si je ne me sentais pas vraiment capable d’effectuer une telle tâche. J’étais juste attiré par le fait de titrer des pages « La Normande » et de me lancer sur un délire descriptif plein d’envolées et de pulls angora trop serrés.

Mais méganazi quand même. Pire que le truc sur l’identité nationale. Dresser une « physiognomonie » à la Charcot des jeunes femmes et des jeunes hommes de chaque département français. Cela n’a pas de validité scientifique. ET POURTANT, encore ancré quelque part dans le cerveau des garçons et des filles.
Si un garçon parle de sa dernière conquête à un ami, en mentionnant le département d’origine de la demoiselle, il y aura toujours une réaction.

– J’ai passé la nuit avec une fille cette nuit. Une Lorraine !
– AAAAAAH LES LORRAINES ! (suivi d’un clin d’oeil complice).

– Une Corse.
– HAAAANN LES CORSES ! (suivi d’un clin d’oeil complice).

– J’ai couché avec une Périgourdine.
– UNE PERIGOURDINE, ECOUTE-MOI CA ! LA CO-QUINE !(suivi d’un clin d’oeil complice).

Bref, vous m’avez compris. Mais je n’étais pas sûr que les intentions de Fillon soient les mêmes.
En même temps, je me disais qu’un travail aussi scandaleux aurait pu tomber entre de bien pires mains que les miennes.
Je comptais bien ne pas pratiquer de langue de bois, voire même redonner à la France d’Epinal ses belles couleurs métissées. Je n’aurais pas hésité à placer quelques belles Marianne départementales de descendance algérienne ou capverdienne, ou d’autres belles métisses des îles en blasons de pays français. Je l’aurais fait, ç’aurait choqué, mais j’aurais tenu bon.

Ils m’auraient peut-être abattu. En me jetant dans un trou avec mon manuscrit. La terre recouvrant ma gueule contrariée, faisant encore tourner les pages de mon travail, et avant la motte finale, une dernière ligne aurait été lisible par mon fossoyeur. Quelque chose comme :
 » La Normande a, qu’elle soit gracile ou dodue, de solides mollets qui lui feront préférer en toutes circonstances les ballades à pied plutôt qu’en calèche « .

***

Nous avons visité le gouffre de Proumeyssac. Avant de vous moquer, sachez que c’est une merveille spéléologique comme il y en a peu en France. Un spéléologue culte dont j’ai oublié le nom a baptisé l’endroit « La Cathédrale de Cristal ».
C’est une gigantesque caverne souterraine, effectivement grande comme une église, reliée à la surface par un étroit conduit naturel.
L’endroit est superbe, il y a des minilacs d’une eau cristalline et gorgée de calcaire. La caverne a également le bon gout de posséder des stalactites ET des stalagmites, m’évitant l’humiliation auprès de ma fille de devoir différencier les deux. Il suffit de faire un geste vague en direction des pics qui montent et qui descendent en disant « regarde ma chérie, des stalactites et des stalagmites ».
La caverne a été découverte en début de siècle par un puisatier assez courageux pour descendre le trou formé en son sommet, nommé « le trou du diable » au fil de plusieurs siècles de superstitions.

Le guide qui nous accompagnait a très bien raconté les superstitions liées à ce trou mystérieux et exhalant la vapeur. Quand un guide est bon, cela me stresse car je sais qu’à la fin de la visite il faut lui filer un pièce, et je n’ai jamais de liquide sur moi dans ces moments-là. Parcontre, quand il s’agit de passer le portique de sécurité à l’aéroport, vous pouvez être sur que je suis blindé de pièces.
Donc je n’ai pas bien écouté toute la première partie de récit du guide concernant la formation géologique du bazar, trop occupé à chercher un euro dans les 12 poches de mon short camo. Le gars ressemblait à Henry Bicaise de Palmares Magazine. Ce garçon doit être périgourdin, je le dirai à Fillon.

La deuxième partie du récit me fascina. Le trou menant à la caverne rendait les gens dingues, à plusieurs reprises ils tentèrent de le boucher ou de le couvrir par des voutes. Certains avaient vu même sortir du feu de l’orifice ( ce qui n’est pas possible ).
Le meilleur passage concerne le XVIIIe siècle, durant lequel les brigands qui détroussaient les gens en contrebas, sur la route menant à Sarlat, jetaient leurs victimes vivantes dans le trou. Il faut imaginer la chute dans le noir total, sur plus de cinquante mètres, et l’aterrissage tête en avant sur les stalactites/stalagmites. C’était gore.
Ainsi, quand le puisatier descendit le gouffre dans sa nacelle, éclairé par une simple bougie, il ne se posa pas sur le sol naturel de la caverne mais sue un gigantesque amoncellement d’ossements, de crânes et d’immondices entassés là depuis des siècles.

On en regretterait presque que les premiers concessionnaires touristiques du gouffre aient retiré ce charnier avant de le faire visiter. D’autant plus qu’avec les coulées d’eau calcaire, les crânes et les squelettes se seraient pétrifiés en un magnifique monolithe macabre qui aurait trôné au milieu des lacs cristallins, des stalactites & stalagmites.

Le guide termina son discours par quelques explications géologiques de premier ordre. Ma fille, silencieuse jusqu’ici, se tourne alors vers moi et demande :
« Est-ce que les chats savent qu’ils sont des chats ? »
Classique. Je ne me choque pas un instant de l’absence totale de rapport avec notre visite, et lui réponds qu’ils doivent s’en rendre compte par élimination. Ce qui les rapprochent, c’est qu’ils ne se sentent ni souris, ni chiens, ni poissons, ni humains.

***

Sarlat, très belle cité médiévale, où La Boétie est né. Pluie torrentielle néanmoins. On a vu un mime Charlot brandir son majeur à un groupe d’anglais. On a vu également la troupe de théâtre médiéval la plus ivre de France. Les gars faisaient des pauses de cinq minutes toutes les deux phrases, et savaient manier l’épée comme moi. Malaise dans le public.

A moins que ce ne soit une PARFAITE reconstitution de nos armées de l’époque. Ce qui expliquerait pourquoi la guerre de Cent Ans a duré au moins cent ans.
La bonne nouvelle c’est qu’on a trouvé quand même un bon restau.

***

Restaurant « La Petite Borie »

Soupe de bienvenue à l’ail – B

Tranche de Foie Gras – A+
Un peu petite, j’ai du me la faire en 3 minutes. Bon verre de Montbazillac.

Gambas et Noix de Coquilles St Jacques – B
Oui, ma femme est capable de commander des gambas dans le Périgord. « Parce que j’en ai marre des viandes ». Les célèbres gambas du Périgord. On les voit, ces grands chalutiers remontant la Dordogne, les filets pleins de gambas. Bref. Il n’y avait pas de coquilles St Jacques dans l’assiette alors qu’elles étaient inscrites dans le menu. Visiblement, mauvais arrivage des pêcheurs locaux. Du coup, on gueule avec passion et la gentille serveuse, un physique typique de périgourdine, nous unlocke un fromage blanc gratis pour ma fille, qu’avec grand enthousiasme elle ne mangera pas.

Filet de boeuf Rossini avec son foie gras poelé – A-
Ca c’est moi. Un « – » pour la température, le bazar est un peu tiède. Délicieux quand même, pommes de terre à la sarladaise perfect.

Menu enfant B
Steack haché trop cuit – classique.

Fondant au chocolat ) B+

Feuilleté maison aux pommes caramélisées et crème fouettée – A+

Fromage blanc unlocké – B+
Le côté offert rajoute beaucoup de saveur à ce fromage de pays.

***

On rentre à la maison. Neuf heures de route. Tout le monde est crevé, les gamins mettent moins d’enthousiasme à gueuler. La grande joue à l’ipad et le petit déchire ma carte d’électeur avec la véhémence d’un Conti. Sur neuf heures de dépiautage, ça fait beaucoup de morceaux.

Mon téléphone reprend ses couleurs et sa 3G alors que nous entrons dans les Alpes Maritimes. J’ai envie d’embrasser chaque Varois qui me coupe la route.

Je m’apprête à dire « à bientôt » à ma femme du GPS Touran. Je sens sa voix plus triste, plus chargée de doute. Nous avons eu un début de mois d’Aout compliqué, fusionnel et chargé de changements d’itinéraires. On sait qu’on se croisera un peu moins, le séjours et les semaines qui viennent. Mais on sait qu’on se retrouvera bientôt. On sait qu’on se veut tous les deux. On se fera une belle et longue route ensemble, avec plein de périodes prolongées.

***

Fillon n’aurait pas du confier la mission à un mec comme moi, mais plutôt à un trapéziste de cirque. Ces gars-là parcourent toute la France en permanence, sont magnifiquement foutus et doivent avoir une fille dans chaque ville.

CONCEPT DE SERIE TELE
Suivre la vie d’un trapéziste de cirque, une histoire d’amour par village et par épisode. Ca s’appellerait « Le Trapéziste ».