Avant-propos qui peut claquer entre deux toasts : j’ai écrit pour Arte.tv une chronique sur la grossesse en milieu artificiel. C’est ici.

J’ai mis beaucoup de temps à me réconcilier avec les magasins bio – et pour cause : les deux magasins bio que j’ai fréquenté durant plusieurs années, d’enseignes différentes, étaient des maisons de fous. Je tiens à préciser, à l’attention de l’association française des magasins bio, que je ne tire là aucune généralité sur les magasins bio de l’hexagone. Je veux bien même admettre qu’il n’y ait que deux magasins bio de cinglés en France – dans ce cas, ils sont dans les Alpes Maritimes, j’y ai souffert et tremblé pendant presque un an et demi en tant que client.

Quelques points de repères :

* Les tenanciers avaient les yeux de travers. Je ne souhaite pas stigmatiser le strabisme et les yeux de travers – et son association hexagonale qui existe sûrement aussi, mais admettez, même si vous en êtes (car le strabisme n’empêche pas le discernement ou l’humour) le hasard incroyable que les DEUX tenanciers de DEUX magasins Bio différents aient les yeux de travers, quand même. Est-ce le fait de manger des produits Bio qui place les yeux de traviole ?

Où plus simplement, y-a-t-il peut être un cursus particulier – ce qui serait vraiment génial d’un point de vue réinsertion par ailleurs – qui proposerait aux personnes avec des yeux de travers de suivre une formation de manager de magasin Bio. C’est probable. Des affiches marrantes avec un garçon faisant un signe de pouce devant un rayonnage de légumes « Je ne serai pas pilote de chasse, mais je sais vivre au Naturel ! ». Et en légende : « Depuis 2003, l’association Regards Croisés a permis la réinsertion professionnelle de près de 8.000 personnes atteintes de strabisme dans la filière agricole organique. »

* Les tenanciers, avaient, dès votre entrée dans le magasin, cette attitude souriante et sereine des gars qui ne mangent que des légumes bouillis et vivent en harmonie avec la nature, mais piquaient systématiquement des crises de nerfs auprès d’un client ou d’un employé lors de mes visites. Ca fait de la statistique lourde, disons 20 visites par magasins, 40 crises de nerfs. Véner. En bloc, des hurlements, les mémés s’arrêtaient de chercher dans les rayons et tournaient la tête pour voir ce qui se passaient, on se regardait entre clients avec des gros yeux pour se donner mutuellement du courage. On n’osait pas bouger, car nous avions cette peur archaïque de croire que les personnes au regard croisé ont la faculté de voir dans deux angles opposés et donc de nous repérer si nous bougions.

C’était abusé. Non seulement vous veniez acheter des trucs au son ou à l’épeautre, ce qui n’est pas le sommet du fun, mais en plus, c’était le règne de la terreur dans le magasin. Les gars étaient tendus. Je ne savais pas comment intervenir. Je réfléchissais pendant que leur voix résonnaient à en faire trembler les livres de relaxation posés en bord de caisse. Calmez-vous l’ami. Vous mangez trop d’épeautre. Je vais vous emmener avec moi dans un bon TGI Friday, un bon steack au Jack Daniel’s avec des frites grosses comme mon bras, et je suis sûr que ça ira mieux. Vous vous mettez trop de pression. Je vais vous emmener, tiens, on va louer une Jeep, et on va se faire « La Route du Gras ». On appelle nos femmes et nos employeurs, on lâche tout pendant 7 jours, et on taille la route à travers la France pour manger les spécialités les plus grasses de ce beau pays. Vous reviendrez au top.

* Les clients portaient tous des sandales. A croire qu’ils avaient une paire de sandales « pour le magasin bio » dans le coffre de la voiture, qu’ils n’enfilaient que pour ces emplettes. Je me suis toujours senti vraiment mal, à entrer en tennis dans ces magasins. La population des magasins bio me déconcertait vraiment – beaucoup de dames approchant la cinquantaine et de garçons en pantalon de velours, hyper concentrés sur les produits, n’hésitant pas à demander à voix haute à travers les rayons au tenancier – selon qu’il était en entrée ou en fin de crise de nerfs – la meilleure tisane antichiasse.

Pour fayoter, quand le tenancier était de bonne humeur, je lui posais de temps en temps des questions sur tel ou tel produit, il me demandait lequel, je baladais le paquet devant son oeil droite, puis à la diagonale de l’oeil gauche, comme devant un lecteur code barre, espérant désespérément que la lecture se fasse rapidement avant crampe. Le gars partait dans des tirades qui commençaient toujours de façon passionnante, à base de vieux incas, de vieux corses, de vieilles-populations-qui-savent-tout genre Raoni, pour finir les 3/4 du temps en considérations politiques sur les USA, les polyphosphates, le gaz de schiste et les nanoparticules. Il gâchait tout. Comme dans ces films pornos où ils se sentent toujours obligés d’étouffer la fille comme une oie de Bresse avec le bazar du gars.

En tant que jeune actif qui ne croit pas aux pierres magnétiques, je me sentais sous-représenté dans cette clientèle. A la télé, on les aperçoit, aux USA ou en Hollande, ou des pays comme ça, ces filles athlétiques de 25 ans, à queue de cheval, hyper dynamiques, croquer avec malice des carottes dans les marchés bio, qui s’enfuient comme des biches quand tu leur cours après, je n’en ai jamais vu dans mes magasins strabistes. Le genre de nanas comme Jillian Michaels de The Biggest Loser, qui te réveillent à grand coups de pompes dans le derrière le Samedi à 7h00 du matin pour aller courir. Non y’en avait pas.

Bref – j’avais vraiment souffert, et passée l’expérience de ces deux magasins, j’avais perdu toute mes illusions sur les magasins bio. Entre temps – j’imagine bien qu’à Paris ce développement fut plus rapide – les espaces bio fleurirent dans les supermarchés, envahirent des linéaires d’abord, puis des rayons de magasins entiers, entre les croquettes et la bouffe normale. Le bio fit son entrée triomphante ensuite dans les rayons normaux, en traitre. Cette belle progression me fit oublier le magasin spécialisé bio en tant que tel.

Le nouveau magasin bio

Jusqu’à récemment, quand je fis la découverte d’un beau magasin bio dans une de ces zones commerciales complètement hallucinantes en périphérie de ville. Derrière l’aerodrome de Cannes-Mandelieu, où les Cessna de grassois attendent que les jets de russes décollent avec vacarme pour pouvoir à leur tour se détacher tranquillement de la piste, et survoler quelques temps les collines dorées de mimosa.
Un nouveau magasin bio, exactement situé en face d’un gigantesque sex mall, un sex shop mais en plus grand (« le plus grand de la Côte d’Azur »). Ils sont séparés par un parking. Quand je bouffe parfois dans ma voiture pour regarder les jets décoller en mâchant mes quenelles au soja, je vois les gens passer, en essayant de deviner s’ils vont au sex shop ou s’ils vont au magasin bio. Jusqu’ici je n’ai jamais vu de filles rentrer dans le grand sex shop. Beaucoup de mecs parcontre, souvent en bandes. Moi je n’ai jamais osé rentrer. J’ai la phobie de renverser des godemichets en rayonnage et de devoir tous les ramasser au moment où quelqu’un que je connais entre dans le sex shop pour demander un renseignement.

Je me suis rappelé, en rentrant dans ce magasin bio, pourquoi j’aimais ces endroits. On y découvre encore plein de trucs, de parfums, de saveurs complètement inédits, bien WTF, qui interpellent. Même pour une nausée ça m’intéresse. Je voyage plutôt pas mal avec mon boulot, je suis allé en Asie, au Moyen-Orient, en Russie, en Arménie et plus ça va, moins les saveurs vous surprennent, tout se ressemble, et au-delà de la curiosité qui s’élime, ce sont les plats qui s’alignent un peu, pour devenir cette bouffe intercontinentale, pas mauvaise, mais guère surprenante.

Là, vous rentrez dans ces magasins bio, et dès le début, une odeur insensée vous emplit les narines – un mix halluciné d’huile essentielle d’orange, de champignon Shii Také, de poires trop mures et de sandales de vieilles. Il y a des extraits végétaux inconnus, des biscuits bio qui rivalisent de dégueulasserie esthétique et de composants improbables. Il y a un coin « engrais bio », où les odeurs feraient délirer le plus blasé des Nez de chez Guerlain. J’aime me balader dans les rayons, et tandis que dans le sex mall d’en face, un masochiste charge peut-être son chariot de martinets ou de pinces crocos, je charge mon chariot de trucs organiques, amers et non identifiables pour les mêmes raisons : le plaisir de souffrir et de sortir de sa zone de confort gustatif, bref découvrir de nouveaux trucs.

Quelquefois le résultat vaut le détour. Dans le marché du bio, vous découvrirez des tonnes de micromarques Française qui rivalisent d’idées, d’expérimentations autour de la niche du bio, du sans gluten, du sans viande, pour proposer de nouvelles pratiques alimentaires et de nouveaux goûts. Certaines de ces marques ne sont même pas distribuées au-dessus d’Arles.
A titre d’exemple, plus connue que les autres, la marque « Soy » qui fait preuve de beaucoup d’inventivité pour décliner le soja sous toute ses formes. Elle compte notamment, au rang de ses innovations une quenelle au Tofu, sobrement intitulée TOFFINELLE qui fait mon régal quand je sors du sport car elle peut se manger crue. Lors d’un salon du bio à Grasse, j’ai eu d’ailleurs la chance et le privilège de croiser la dame de chez Soy à l’origine des Toffinelles. J’étais très ému, j’en avais appelé ma femme à l’autre bout des étals pour lui crier avec joie – « C’est la dame des Toffinelles ! », en me rendant compte juste après que j’avais peut-être mis trop d’enthousiasme dans ma déclamation.

Pour terminer – si vous voulez vraiment DECOUVRIR une saveur « nouvelle » (même si la recette est millénaire etc), et surtout une texture inédite au palais, je vous conseille ardemment une de mes récentes découvertes : les galettes essene. Ce sont des galettes réalisées à partir de graines germées. J’ai goûté celles de la marque Gaia, un petite société du Tarn. Cette galette était au blé et aux pois chiches germés, et aux olives. Et là ce fut une réelle découverte. La consistance est inédite. Entre le pain et le gateau. Truc nouveau, vous avez pas connu cette consistance, c’est pas poss’. Hyper tendre et dense à la fois. Un vrai petit voyage. Pas besoin d’utiliser vos miles.
Un parking d’aerodrome, sous le bourdonnement lointain des cessnas, un sex mall à vos côtés, et une bouchée aux olives d’une tendresse extraordinaire, savoureuse et saine, qui vous réconcilie avec le bio.

Crédit photo : Annie John