Cette fois-ci l’heure est grave pour le rire français. Un nouveau service lancé par Le Post cette semaine, intitulé Tweest, permet à l’internaute lambda, qu’il soit familier ou non à twitter, de lire les fils de journalistes et de politiciens. En deux tranchées bien séparées, un peu comme les Vampires et les Lycans, ou les Newman et les Chancelor – pas vraiment copains mais fricotant de temps à autres. L’outil, s’il est plutôt sympa, met néanmoins le doigt sur le grand flou métaphysique et identitaire dont jouissaient les journalistes jusqu’à maintenant sur twitter (oui, on peut mettre un doigt sur un flou).

Car il y a une grande différence entre le journaliste et le politicien sur twitter. Au politicien,récemment arrivé sur twitter, on ne la fait pas. Il n’y a pas de twits en l’air. Tout est calculé. Les pseudo-confidences, les twitpics de potaches, les remarques de comptoir, ont absolument toutes un but : la victoire électorale. C’est l’instinct de l’animal politique, on peut lui reprocher tous les défauts du monde, à l’animal politique, mais pas celui de ne pas être investi corps et âme dans la volonté de victoire. Même, d’ailleurs, quand le parti en question n’a aucune chance.

Le journaliste, parcontre, est sur twitter depuis bien plus longtemps, et pour prendre un terme de la télé-réalité, il a oublié la camera. Pour ma part, n’étant pas du landerneau des journalistes ( ce qui m’autorise à utiliser le mot « landerneau » sans être inquiété), je n’ai jamais suivi un journaliste en sachant qu’il l’était. Tous les petits camarades de déconnade que j’ai pu me faire sur twitter, je les ai d’abord aimé pour ce qu’ils étaient, en dépit total du magazine, journal, ou chaine de télé pour lesquels ils travaillaient.
C’est le côté Stakhanoviste de twitter qui me séduit tant : un journaliste peut dialoguer avec un webmaster de province, un directeur marketing et une starlette gay sur le dernier Sons of Anarchy. Si vos twits sont bons, on ne vous demandera ni votre carte de presse, ni votre âge, ni la fréquence de vos rapports sexuels.

Il y a des millions d’années, au Paléozoïque, le premier journaliste arriva sur twitter par volonté de veille. La veille, c’est sa nageoire dorsale. Elle lui sert non seulement à nourrir leur soif de Zeitgeist, mais c’est sa légitimité pour être sur twitter à longueur de journée – c’est d’ailleurs le seul corps de métier qui peut twitter en bonne conscience, 24/24. Un peu plus loin dans le temps, vers le milieu du Mésozoïque, le journaliste s’ennuie : à certaines heures de la journée, il n’y a que des journalistes sur twitter.
Alors, de relayeur et de veilleur, il se met à produire du contenu. L’invention est géniale : n’attendons plus une bonne blague pour la relayer, créons une bonne blague, et du coup soyons les premiers à la relayer. Le lol-journalisme est né.
On martelle le terme de « personal branding », pour légitimer une fois de plus cette débauche d’âneries : le journaliste doit séduire avant tout sur sa persona, en chair et en os, parce qu’un journal c’est sympa, mais bon, ça peut disparaitre.

Ces différentes mutations, durant plusieurs millions d’années, ont fait du twitter journaliste d’aujourd’hui un être complexe, dont les frontières professionnelles et privées sont totalement mélangées. Le loleur muselle parfois le journaliste, et l’inverse.
La mode #jeansarkozy partout fut créée par un journaliste. Plus récemment, la vidéo détournée du jeune militant UMP braqué par une Kalash, un journaliste aussi. Ces deux détails m’ont énormément surpris, un buzz créé par un journaliste, relayé par d’autes journalistes, un beau circuit clos.

Tout le monde se contentait de ce mélange des rôles, jusqu’à ce que Tweest arrive. Tweest se charge de clarifier la situation en disant au journaliste : TU ES JOURNALISTE.
Certes, le journaliste twitter n’engage pas forcément son journal lorsqu’il twitte, il y a les comptes officiels pour cela, mais quand même. Ainsi, quand la prochaine fois que l’ami Alex Hervaud de Ecrans.fr twitpique sa prochaine Karaoke Party, le fait que Tweest existe, et le classe sous le bel intitulé de Libération, équivaut à ce que l’animatrice du Karaoke beugle dans le micro « ET MAINTENANT, UN JOURNALISTE DE LIBERATION SOUHAITE CHANTER « VOYAGE, VOYAGE ». Certes, ce n’est pas grave en soi, mais les gars, ça vous fait pas chier ?

Solution potentielle : permettre aux journalistes de taguer les twits dont il ne souhaite pas la mise en Tweest, un peu comme les salles CSA dans la télé-réalité. A chaque tweet, se poser la question métaphysique « est-ce que je dis ça en tant que journaliste, ou en tant que lolito ? ».
A ceux qui répondront osef, fort est à parier qu’à un moment ou à un autre, un mauvais retour de baton, une blague très mal interprétée, risque de changer la donne. Et quand on connait le grand sens de la pondération qu’ont les lecteurs du Post, je donne pas cher aux prochaines blagues godwinesques twittées à 2heures du matin dans un grand flot de vin rouge.

Ou alors, tout révolutionner. Changer les conceptions et les préjugés, et faire comprendre qu’un bon journaliste est avant tout un homme ou une femme humoriste à mi-temps. De mon temps, le plus grand compliment qu’on pouvait donner au sujet d’un journaliste était le « sérieux », peut être que Tweest, et les archives de twitter, nous feront dire d’un bon journaliste est un journaliste très drôle. De ma propre expérience des journalistes, je partage cette opinion.

« – C’est pas exagéré cet article ? Tu penses vraiment que Nixon a fait installer ces micros ?
« – C’est du béton. Tu peux croire Woodward et Bernstein, ils sont vraiment MDR ».

(cc) Desiree Delgado