ban-orchestre

OK, ça va, j’ai lâché un temps le blog, je vais le reprendre. Quand on ne poste pas, cela ne veut pas dire qu’on ne fait rien, on fait plein de choses en fait. Mais la forme d’un blog est telle que le dispositif devient très rapidement désert et déprimant, même si l’absence n’a duré que quelques jours ou quelques semaines. C’est vraiment paniquant.

Comme les voitures à Moscou l’hiver, garées le long des zones résidentielles – si vous avez le malheur de ne pas la sortir de la journée, elle se retrouve sous un mètre de neige grise, et donne l’impression d’avoir été abandonnée depuis des années.

Avant la reprise, je vais me permettre d’écrire un petit instant sur ce rendez-vous si particulier que représente un post, entre moi et quelques lecteurs. Et le nombre incalculable d’interrogations que je me fais à ce sujet.

Quand je lis un blog francophone, dans ma tête j’utilise une sorte de terminologie qui me permet de classer les auteurs. C’est une classification vraiment basique, presque bébé : t’écris avec les muscles, la tête, le cœur, la bite, les nerfs ou le ventre. Chaque auteur privilégiera un organe en particulier, mais on les utilise tous un petit peu.

Ecrire avec les muscles
J’appelle écrire avec les muscles écrire pour écrire, et c’est je pense ma famille. Je blogue pour écrire, et je pense que si j’étais écrivain pour de vrai, je ne bloguerais pas. Je me fais les muscles, j’écris, c’est ce que j’aime, et la plupart du temps, le sujet n’est qu’un prétexte pour me faire les muscles, me faire le muscle de l’écriture sur la musique, de l’écriture sur l’image, de l’écriture du vécu, etc. J’adore écrire, mais mon problème c’est que je n’arrive pas encore à écrire sans le prétexte d’un sujet.

Beaucoup d’auteurs y arrivent – particulièrement les filles, c’est une simple observation, beaucoup de blogs de filles en sont capables. Ouvrir un post et partir en roue libre –lorsque c’est bien écrit, c’est un grosse démo de style assez vertigineuse (Dans ce domaine Perséphone Ioudgine est une killeuse), quand c’est mal écrit, c’est de la logorrhée.
Alors pour ne pas sombrer dans le blog d’écrivaillon raté qui gratte dans le vide, les musclés aiment souvent chopper un sujet, l’épingler sur le support, et peindre autour.

Un blog qui résume tout à fait ce type de réflexe est un blog mort aujourd’hui, la Superette.
A la base un blog de reviews de clips, tenu par un aréopage de plumes excellentes. Mais à proprement parler, le clip importait peu. C’était juste un petit bout de fil prétexte à être déroulé sur des centaines de mètres, pour faire claquer un style drôle, bourré de références et d’un générosité rare.
Certains billets de la Supérette font pour moi partie de ce qui a été écrit de mieux dans ce domaine, dans cette ambiance légère, mélomane et parfaitement inutile.

J’ai su bien des mois après avoir été un lecteur fidèle de la supérette, qu’il existait des ponts dynastiques entre ce blog et d’autres joint ventures comme BienBienBien dont j’ai déjà parlé à plusieurs reprises dans ce blog, et Fluo Kids, plus ramassé dans les chroniques, plus spécialisé, mais au style très efficace.
La grande force de BienBienBien, qui les rend imbattables, c’est l’équipe. Ces salopards écrivent avec tous les organes, une efficacité qui ne laisse aucun répit, et un topping souverain dans le ton qui apporte juste la dose d’agacement nécessaire.

Ecrire avec la tête, c’est faire passer l’idée avant le style (mais les deux c’est mieux), c’est le passionné des droits de l’homme qui écrit tous les jours sur le Darfour, mais ça peut être aussi l’anti-sarkozyste qui dépense beaucoup d’énergie chaque jour à démonter le président, mais également le besogneux blogueur anti-PSG, anti-OM, pro-MODEM, anti-SNCF – un blog sur le foot c’est très cérébral, ils en ont souvent rien à faire du style, mais les textes ne sont jamais dénués d’idées.

C’est également le cas pour beaucoup de blogs cinéma – c’est même parfois incroyable de voir à quel point certains blogs de cette catégorie, ayant pignon sur rue d’ailleurs, sont dénués de la moindre élégance stylistique.

« Bon j’ai enfin pu voir le film XYXYXTY en avant-première de la mort qui tue !!  Les  personnages sont plutôt bien écrits, grosses frayeur dans la deuxième partie du film et un final « coup de théâtre » qui je l’avoue m’a beaucoup surpris. Verdict : à voir, pour les fans du genre ».

Ce qui est beau, c’est quand on écrit avec la tête et les muscles, quand on fait passer une idée avec style, c’est rare, et quand ça arrive c’est bon.

Ecrire avec le cœur, c’est selon ma prof d’écriture que j’avais à la fac le plus grand piège dans lequel un écrivain peut tomber, c’est un terrain glissant, très glissant, ou beaucoup y laissent leur peau. Les skyblogs sont souvent écrits avec le cœur, car leurs utilisateurs sont jeunes, et quand on est jeune, on écrit avec le cœur. Que le texte ait de l’intérêt ou pas n’a pas tellement d’importance, c’est plutôt celui ou celle pour qui on écrit qui en a. C’est un plaisir assez solitaire d’écrire avec le cœur, en tout cas, je ne prends pas beaucoup de plaisir à lire ce genre de textes.

Ecrire avec la bite est un lointain cousin d’écrire avec le cœur. Les deux ont pour point commun de vous faire écrire un texte que généralement vous regrettez le lendemain à tête reposée. L’excitation sexuelle peut-être un formidable moteur, mais également un tremplin trop court.
Vous écrivez vaguement autour du sexe, du couple, d’une fille ou d’une pub American Apparel, sans vraiment comprendre ou vous voulez en venir, ces posts-là sont des saillies stylistiques pas tellement conclues, qui auraient pu être épargnées si vous vous étiez soulagé avant de publier.

Ecrire avec les nerfs est le sport national francophone – la joute. La provocation, le clash, l’anticipation jouissive d’un affrontement avec les commentateurs ou les blogueurs d’en face. C’est le blog d’opinion, c’est le blog influent sur le retour, aussi, souvent. Le blog réacs ou volontairement provoc, rictus débile. Pour écrire avec les nerfs, il faut également un petit peu de muscle, sinon on ne tient pas la joute.

Enfin, écrire avec le ventre, c’est le blog alimentaire. Les bons pères de familles qui font marcher la machine pour faire marcher la machine – 95% des blogs high tech. De la reprise de news, de la gestion quotidienne, du rendement. Je n’ai pas de jugement de valeurs là-dessus d’ailleurs, il y en a que je préfère à d’autres, et d’ailleurs je pense que 80% des blogs que je peux lire au quotidien sont des blogs écrits avec le ventre, et j’en suis fort aise. C’est juste une autre discipline. Dans la catégorie ventre, il y a également les journalistes, qui se distinguent ensuite par leur aptitude à donner du muscle et de la tête.

Voilà, ce ne sont pas des catégories que j’ai inventé pour le post, ce sont vraiment des repères que j’utilise depuis longtemps dans ma tête quand je lis quelqu’un, cela m’aide à le définir, à apprécier son travail, et surtout ça m’aide à me situer si je voulais faire un blog plus régulièrement.

Ces critères fonctionnent, les organes marchent – il y aura forcément quelqu’un en commentaires pour me dire que j’écris avec les pieds, mais ce n’est pas grave. Vous pouvez vous amuser à classer chaque blog francophone que vous connaissez, ils réunissent presque toujours deux de ces critères.

Bref, tout ça pour dire que moi je blogue pour écrire, et que je n’ai pas encore le talent nécessaire pour écrire sans prétexte, et je n’avais pas tellement de prétextes ces temps-ci.. Moi cela ne m’a pas dérangé, jusqu’au moment où l’on réalise que la présence du lecteur, même si elle est très légère à mon stade, devient une forme d’engagement, au sens commitment du terme. Le lecteur est à la fois une motivation et une aliénation, ce rapport là est encore très complexe à domestiquer pour moi.

Sans lecteur je ne bloguerais plus, et à la fois si je n’avais aucun lecteur, peut-être aurais-je plus blogué ces derniers temps.
C’est une sorte de schéma paradoxal que je vais résoudre très rapidement, en tentant de vous assommer à grands coups de muscles pour les prochaines semaines à venir, c’est promis.