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Des signes annonciateurs de l’été, chacun a son propre inventaire intime, qui remonte souvent à l’enfance – pour moi c’est l’odeur du barbecue, le chant des cigales, mon père qui ronfle devant le tour de France, mes pieds nus sur la terrasse, le sons des cessnas publicitaires survolant les plages à quelques kilomètres de chez moi.

Mais il y a des souvenirs un peu plus collectifs – c’est le cas sans aucun doute de l’émission « 40° à l’ombre » sur FR3/France 3.  Les moins de 20 ans ne peuvent pas connaitre. Même à l’époque on trouvait cela léger et con, mais qu’est-ce que ça manque.
Je propose aux vieux croulants qui en 1992 mangeaient des mister freeze en regardant l’émission en slip affalés sur le canapé, de faire une visite hommage à ce monument du kitsch et surtout de télévision populaire.

Le Pitch

Durant tout l’été, l’équipe de l’émission et son podium itinérant s’arrêtaient chaque semaine dans une station balnéaire différente, de la côte atlantique ou méditerranéenne, pour passer avec nous quelques heures de détente tous les après-midi, autour de rubriques régulières (le jeu de la séduction, les animaux, la variété) et de découvertes de talents locaux (cuisiniers, couturiers, « personnages truculents »).

Successivement animée par Vincent Perrot, Marie-Ange Nardi, Thierry Beccaro et parfois mêmes des combos de ces derniers, l’émission avait surtout la qualité, l’énorme qualité d’être en direct total.
Certains se souviennent d’ailleurs que c’était en direct que la pauvre Marie-Ange Nardi s’était faite lacérer le bras par un tigre (non tamoul) lors d’une émission, toute la France en vacance avait flippé en direct, et Marie-Ange avait mis sa carrière entre parenthèses suite à l’incident.

Le direct, c’était la grande force de l’émission, émaillée de micro incidents et d’approximations permanentes qui faisaient souffler sur notre télé mitterandienne un vent punk , à 15h,  sur Fr3.

La plus vieille archive que j’ai retrouvé sur Youtube nous montre un Vincent Perrot à peine pubère et gendre idéal, ne regardez que la première minute car il va y avoir beaucoup d’archives à regarder en diagonale dans ce post et je veux que vous les regardiez toutes, le reste de la video est un slow italien et libidineux dont vous pouvez vous passer.

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Une certaine vue de la France

Avec le recul, la grande force poétique de l’émission résidait en fin de compte dans cette confrontation entre « la télé », c’est à dire les gens de la télé, les « célébrités », et le peuple. Alors certes, c’est déjà un peuple qui a les moyens d’être en vacances, mais c’est déjà une bonne photo du bon peuple français.
Celui qu’on aime et qu’on déteste. Celui qui a une tête de con au péage, et nous même, qui sommes la tête de con de la voiture d’à côté.

Les villes traversées par 40° à l’ombre , qu’on y soit déjà allé ou pas, évoquaient mille images de vacances : Collioure, Royan, Cavalaire, Le Lavandou, Lacanau, Biarritz…
Les plages filmées dans l’émission étaient absolument bondées. On était au coeur du cyclone, dans le coeur de monoï de saucisson et d’apéro du coeur du juilletiste (on dirait du Péguy). Et le moindre plan de l’émission ne pouvait éviter les centaines de vacanciers, bananes à la taille, enfants un peu gras sur les épaules, regarder d’un oeil mi boeuf mi canaille les danseuses évoluer sur le podium.
On regardait la France regarder, finalement il se déroulait dans ce show futile une sorte de messe païenne à la gloire de la légèreté estivale. Voilà ce que c’était 40° à l’ombre : une messe païenne à la gloire de la légèreté estivale.

Interlude: le jeu des cotons tiges ( » Oh là là, des encouragements sur les bleus, là « ). Il y avait aussi des épreuves de ce type dans 40° l’ombre – à côté desquels Intervilles passerait pour une pièce d’Olivier Py.
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Une réal décomplexée

Il n’y avait pas d’absence de parti pris esthétique au niveau de la réalisation. Une absence de parti-pris, ce serait des plans assez statiques, enchainés de manière scolaire, concentrés sur le sujet. Non. Dans 40° à l’ombre, le réalisateur s’en donnait à coeur joie, et les cadreurs aussi.
Il n’y aura pas eu d’espace d’expérimentations visuelles plus élargi que dans cette émission: fondus au jaune sur la mer, cross fades entre chanteur romantique et fesses énormes étouffant un string, puis plans fixes sur une inconnue de la foule, juxtaposition godardienne, puis passage noir et blanc couleur à la Tarkovski sur un refrain de Sabrina.
C’était une grande cour de récré – les cadreurs étaient jeunes et en érection permanente, mobiles, grivois, fouilleurs, les réalisateurs crevaient de chaud dans un camion régie à peine rafraichi par un ventilateur, enchainant clopes sur clopes en gueulant sur tout ce qui passait à leur portée.

Un exemple magnifique de ce parti pris graphique : le jeune MC Solaar interprétant Caroline. Il faut resituer dans le contexte : à l’époque ce n’était pas un bouffon, c’était même plutôt cool, le morceau avait bien marché, c’était l’époque Jimmy Jay, y’avait un peu de respect. Donc pour le coup la réal se fait assez sobre, avec un balcon privatif et quelques vues artistiques sur la plage. Le Réal s’autorise juste une petite planche à voile vers 3:10 – apparemment repérée par Solaar du coin de l’oeil. FAIL.
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Musique, suite.

Autre exemple qui illustre bien la programmation musicale de l’émission – globalement tous les tubes de l’été, dont certains noms assez connus en club de Province à l’époque, qui firent par le biais de l’émission les seuls plateaux de leur carrière – par exemple La Bouche , ou souvenez vous – Sash.  Si vous ne riez pas à la chorégraphie, c’est que vous n’avez pas de coeur.
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Les moments FAIL, dans 40° à l’ombre, c’étaient les jours de pluie, où tout devenait dur. Où les gens dans le public étaient en sweat-shirt, n’écoutaient plus tellement le chanteur sur scène, ou pire encore, voulaient les faire taire. Il y avait une vraie démocratie, et certains artistes se sont tapés de grands moments de solitude.
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Le Jeu de la séduction

Le jeu de la séduction était un des rendez-vous de 40° à l’ombre que j’affectionnais le plus. Il était systématiquement synonyme de gêne et de maladresses. Quelquefois j’avais la chair de poule en le regardant – ça vous est déjà arrivé d’avoir la chair de poule en regardant un truc nul ?

Le concept était complètement démoniaque et alambiqué : un chef local préparait un plat plus ou moins aphrodisiaque sous les yeux des téléspectateurs. Puis la vedette invitée du jour devait se faire séduire par trois jeunes personnes du sexe opposé EN MANGEANT LE PLAT. Ensuite, la vedette devait choisir – en général elle choisissait la plus grosse ou la plus moche des trois pour qu’il n’y ait pas sensation de discrimination et atteinte au core des fans. Je pense que pour la vedette, ce truc était une torture. J’admirais leur capacité à répondre aux banalités des « séductrices ».

Le jeu de la séduction, c’était NEXT! et l’île de la tentation avant l’heure, vous pouvez pas test.

Ci-joint une archive rarissime, quasiment le seul jeu de la séduction disponible sur Youtube, et pas des moindres. La vedette à séduire était Anthony Dupray, un jeune homme qui jouait dans « Hélène et les garçons ».
Tout est épique dans cet extrait à regarder dans son intégralité s’il vous plait : l’orchestre de marins accordéonistes qui accompagne, les dialogues, la drague, le plat, l’ambiancing de Thierry Beccaro, les plans de coupes pervers du réal, les épaulettes, la séduction, tout.
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Rien que de m’être replongé dans ces extraits et d’entendre le mot « Collioure » que le sentiment estival m’envahit.
J’ai su, en lisant les commentaires sur Youtube accompagnant les différentes vidéos postées ici, que diffusée sur TV5, l’émission était très appréciée dans les pays francophones du monde entier.
Le succès de cette pastille ensoleillée a dépassé donc nos frontières, pour bénir de son monoï tiède d’autres enfants désoeuvrés en slips, sous d’autres tropiques.
Cette perspective me dépasse complètement.