J’ai eu une courte carrière d’apprenti ufologue, circa 90. J’avais onze ans, et je dévorais tous les ouvrages consacrés aux OVNIS que je pouvais trouver. Principalement en brocante.

Les brocantes sont les temples de la littérature honteuse, celle dont les gens veulent se débarrasser après avoir pris un plaisir pervers à la lire. Esotérisme, SF cochonne, pamphlets réactionnaires, biographies improbables, j’ai toujours pris grand plaisir à fouiner dans cette littérature de seconde zone, qui ne semble exister réellement que dans les brocantes. Je n’ai jamais croisé de tels livres en librairies. C’est à croire qu’il existerait des maisons d’édition « direct-to-brocante », comme il existe des productions ciné « direct-to-dvd ».
Minot, je ne considérais pas les maisons d’édition confidentielles et artisanales qui publiaient ces bouquins comme gage de mauvaise qualité. Je nourrissais déjà quelques réflexions conspirationnistes, en me disant que les pouvoirs en place cultivant le secret avaient soigneusement muselé les maisons d’édition de la place de Paris, afin qu’elles ne publient pas les vérités qui dérangent.
Aussi, je trouvais tout à fait normal qu’une maison d’édition marseillaise soit la seule à publier, sous une vilaine couverture, « OVNI : LES DOSSIERS SECRETS DE LA C.I.A ». Au contraire, l’ouvrage n’en devenait que plus précieux : nous étions peu à le posséder.

Il n’y avait pas internet à l’époque, sur ce genre de sujet on ne disposait pas de cette galaxie de sites et de vidéos conspirationnistes, ces tonnes de photos montées et démontées, d’enquêtes et de contre enquêtes.

Posséder le savoir équivalait encore à posséder l’ouvrage qui le contenait ; mes livres, je les conservais précieusement dans une boite, ils étaient sulfureux, ils me faisaient peur, et je me sentais privilégié d’avoir accès à ces connaissances.

Les livres secrets des armées américaines, françaises, etc.. Le triangle des Bermudes : LA VERITE. Dossier OVNI : ce qu’on a voulu vous cacher. Le Blue Book. Le Dossier INTERDIT. Des livres de Jean-Claude Bourret, Jimmy Guieu, et plein d’autres auteurs qui avaient souvent une barbe en collier, une pipe à la bouche, et une expression chafouine en dos de couverture.

Un thème récurrent dans ces ouvrages me fascinait totalement. Il s’agissait des petits-gris.
Les petits-gris sont les aliens les plus fréquemment décrits, sous hypnose ou non, par les témoins de rencontres du troisième type ou les victimes d’abduction.
Des petits êtres gris, aux bras frêles et aux yeux noirs gigantesques sans iris. 100% télépathes.
Vous paralysent comme ils veulent.
Leur passion : observer la race humaine (je résume – certains veulent s’allier aux humains pour combattre leur ennemis reptiliens, mais on n’en n’est pas encore à ce stade des négociations). Kidnapper les humains PENDANT LEUR SOMMEIL de préférence, puis les disséquer dans leurs soucoupes, leur carrer un maximum de sondes et de probes dans tous les trous, puis leur effacer la mémoire, les suturer, et les ramener au bercail.
L’absence la plus totale de sympathie. Le scénario typique pour avoir peur le soir.


Modus Operandi de base. Regardez bien comme celui de gauche à l’air super énervé, voire exaspéré, alors que vous n’avez encore rien fait.

Fort de ces ouvrages et de ces récits documentés, je me sentais plus malin que les autres, mes copains qui n’avaient pas accès à ces informations. Moi je savais. Je savais pour les petits-gris.
Est-ce que cela m’aurait donné un quelconque avantage sur mes amis, le jour où ces extra terrestres auraient débarqué ? Absolument pas. Ces ouvrages ne m’expliquaient pas comment leur parler ou leur éclater la cervelle. Ils les décrivaient, c’est tout.

Mon seul avantage aurait été de pouvoir dire en voyant les petits-gris marcher à toute vitesse vers nous « ah oui, effectivement, je valide, ce sont eux, je possède des photos à leur sujet dans des livres », ce qui n’aurait pas spécialement changé le sort qu’ils m’auraient réservé.
Je ne pense pas que les petits-gris aient assez d’orgueil pour m’épargner une dissection sous le seul prétexte qu’ils étaient les héros de ma littérature.
Les petits-gris n’en ont strictement rien à foutre de ce genre de considérations.

C’était même PIRE que ça : en les connaissant, je m’exposais plus facilement à une rencontre avec des petits-gris.
Cette théorie venait d’un auteur – je ne me souviens plus lequel – qui en un seul paragraphe me fit passer un nombre incalculable de nuits blanches en 1990. Un seul paragraphe, qui pourrait même à vous, pour peu que vous soyez concon et habitiez à la campagne, vous faire passer également des nuits blanches.

Le paragraphe disait, grosso modo :
« Les petits-gris, ne communicant que télépathiquement, choisissent leurs sujets d’expérimentations en fonction de leur facilité innée de communication télépathique. Cette fonction télépathique étant limitée chez l’être humain, il arrive qu’à tort les petits-gris soient attirés dans leur navigation par des champs cérébraux qui leur sont adressés. En quelque sorte, penser à eux les attire. »

PENSER A EUX LES ATTIRE. Donc le soir, éteignant ma lampe de chevet pour m’endormir, je devais me forcer à vider mon esprit, étouffer ma terreur et chasser les petits-gris de ma pensée, de peur de les attirer dans mon jardin (qui contenait d’ailleurs une zone assez dégagée pour accueillir n’importe quelle soucoupe).
Mais c’était peine perdue : au plus je me forçais à ne pas penser à eux, et au plus leur visage rond et leurs grands yeux noirs dansaient dans ma tête. Je paniquais et me cachait sous les draps, pensant que cela niquerait un peu mes ondes cérébrales, et ainsi n’enverrait pas d’immenses appels de phares à la communauté alien.

JH 11 ANS – SUPER TELEPATHE – PENSE A VOUS – DISSECTION GRATUITE – PREMIER VERRE OFFERT – JTM

Je finissais par m’endormir, porté par un mélange d’abandon et de rage – allez-y disséquez-moi bande de connards – révolté que mes camarades ne sachant rien de leur existence puissent dormir tranquillement.

En parcourant Google Images aujourd’hui, on peut voir beaucoup de petits-gris. Mais avec l’image de synthèse, les moyens numériques de retouche, on a gagné en réalisme ce que l’on a perdu en terreur.
Les petits-gris super réalistes (comme celui du film de Roswell) ne me font pas peur.
Ce qui me faisait toujours le plus peur était les PORTRAITS ROBOTS de petits-gris. Genre ça :

Ou celui-ci, absolument affreux, premier portrait révélé de petits-gris, en 1962, sous hypnose, par Betty et Barney Hill :

Une des images de ma collection les plus flippantes représentait une race de petits-gris dite velue :

Celui-là me terrorisait. D’autant plus que les livres qui le présentaient précisaient bien que la race velue faisait partie des « plus méchantes ».

Des plus méchantes ??! Pour rappel, un petit-gris ‘normal ‘ vient au pied de votre lit, vous kidnappe, vous emmène dans se soucoupe pour vous ouvrir, et vous enfonce des sondes en métal dans tous les orifices.
Que fait alors le méchant ? Comment peut-on être plus méchant que ça ?
J’exagère – il y a un geste de gentillesse chez le petit-gris, c’est l’effacement de mémoire, de douleur et la cicatrisation totale. Même si je suis persuadé qu’ils font plus ça pour ne pas se faire pécho que par gentillesse. Anyway.
Cet oubli de l’expérience, c’est ce qui me faisait tenir, et progressivement me détacha de ce hobby des petits-gris.

Après tout, peut-être m’avaient-ils déjà disséqué et violé à la sonde 200 fois, et continuent-ils encore à le faire. Je me disais qu’avec un peu de chance ils finiraient bien pas me greffer des microprocesseur cools, me permettant par exemple de manger à l’infini sans grossir, ou de devenir le meilleur écrivain de la terre.

Résultat : je dois toujours faire attention à mon poids, et j’écris sur un blog. Sales rats de petits-gris.

Ce billet est un rebond à l’article de l’ami Loïc, qui a passé une nuit au col de Vence avec un ufologue, et en a pondu un très beau récit. L’ambiance et les anecdotes m’ont rappelé bien de souvenirs de chasse aux ovnis dans la région, col de Vence, plateau de Caussols, Trans-en-Provence…