Le petit malaisien se mit à sourire, et plongea la main dans sa veste Ermenegildo Zegna pour en sortir un joint de la taille d’un radis noir.

– Zanouk, putain, murmura Jean-Claude.
– Quoi ? T’as un briquet ?
Guéron se pencha sur son bureau Louis XV et chuchota :
– On est à l’Elysée, Zanouk. On n’est plus à l’ENA, là. Tu peux pas allumer un joint comme ça.
– T’es devenu con, ma parole.

Pendant que Zanouk allumait le bédo, Guéron se recula pour observer son bureau.

– Je sais même pas s’il y a des micros ou des mini caméras ici. Ca me paraitrait dingue qu’il y en n’ait pas à l’Elysée. Ca fait quinze mois que je suis là et je suis encore parano.
– Parano de quoi ?
– Ben je sais pas, qu’il y ait des micros, que des gens m’écoutent tout le temps. J’ai pas grand chose à cacher mais ça me stresse. Comme si il y avait une surElysée à l’Elysée, avec un surPrésident et une autre équipe qui nous observeraient en permanence.

Zanouk cracha sa fumée en observant le lustre. Il n’avait pas pris la moindre ride depuis l’ENA, il y a 40 ans – Guéron se demanda si cela était propre aux malaisiens où si c’était une injustice liée à la vie, au fait que Zanouk n’avait jamais manqué de rien, avait toujours été riche et que Jean-Claude avait trimé pour en arriver là.
Zanouk lui tendit le joint.
– Fais gaffe au bureau, maugréa Guéron en saisissant le joint. Je n’ai pas fumé depuis dix piges.
Cela revenait vite. Guéron souffla une longue taffe et fit mine de ventiler l’air de sa main, comme si l’odeur d’herbe allait disparaitre sous le simple battement de ses doigts frêles. 

Le silence régna dans le bureau feutré pendant de longues minutes, Zanouk et Guéron savourant à nouveau le plaisir de cette amitié silencieuse qu’ils étaient devenus maîtres à développer pendant leurs années d’études. Une paix binôme, une confiance se passant de ces mots que Guéron détestait tant. Ces mots et ces pleurnicheries qui envahissaient son activité professionnelle au quotidien, dans la presse, dans les couloirs de l’Elysée, dans la rue. Paradoxal pour un porte-parole d’aimer tant le silence.

Au bout d’un moment Zanouk brisa le silence.

– Jicé, tu as toujours tes deux Van Eertvelt ?
– Les marines ? Bien sûr.
– Je veux te les acheter. Je veux faire un cadeau à une fiancée. Je veux te les acheter.
– Ils ne sont pas à vendre.
– Je ne vais pas te faire le coup de « tout est à vendre ».
– Non, je t’en remercie.
– Mais tout est à vendre.
– Pas ces deux marines. C’est peut être les deux seuls tableau de ma collection qui ne sont pas des croutes.
– J’y mettrai le prix.
– Non mais je…Guéron fit une pause et fixa le lustre à son tour. Il est fort ton pétard.

Zanouk éclata de rire, peut-être même un peu trop fort. Le président allait arriver au Palais dans 10 minutes, retour de visite en Province. Depuis le début de cette conversation Guéron avait déjà répondu à 7 de ses SMS. Il se pinça l’arête du nez en inspirant fort la dernière taffe.

Les yeux de Zanouk brillaient.
– 500 milles.
– Pardon ?
– 500 000 euro, bam. On n’en parle plus.
– T’es cinglé, ils en valent pas le tiers.
– Oui mais j’en ai besoin. BESOIN. Si tu ne veux pas le faire par amitié, fais le pour la symbolique ! La Malaisie a été occupée par la hollande, c’est une belle revanche, un beau retour des choses. Je veux les offrir à ma fiancée. La belge.
– T’es pas avocat pour rien. Va te faire foutre, t’es bête, allez, je dois te laisser.

Guéron se leva mais Zanouk l’attrapa par le cou pour lui frotter de toutes ses forces le cuir chevelu de son poing.
– Mais qu’est-ce que tu fous Zanouk !
Zanouk riait comme un petit diable. Guéron essayait de se débattre mais, agile et noueux, Zanouk en un basculement de hanche déséquilibra Guéron qui s’écroula sur la moquette de son cabinet.
– Zanouk, putain ! Mais quel gamin !
Zanouk fit une clé de cou à Guéron qui le précipita contre une commode Louis XVI. Le vieux malaisien échappa aussitôt aux mains de Guéron et le renversa à nouveau par terre. Guéron heurta le sol du nez et se plia en deux de douleur.

La porte s’ouvrit soudainement et un garde républicain, arme à la main, déboula sur Zanouk. Guéron, nez en sang, échevelé et chemise défaite, intima au garde de s’arrêter.
– Laissez, c’est une chamaillerie… Tout va bien… C’est un vieil ami.
Zanouk éclata de rire en regardant avec défiance le canon de l’arme. Il avait l’insolence des gens riches.
– Laissez-moi mettre une branlée à votre patron.
– Techniquement je suis pas son patron Zanouk. C’est un garde républicain.

La température monta d’un cran quand le Président de la République apparut derrière le garde.
– Il se passe quoi, ici ?demanda-t-il avec un mince sourire.
Le garde referma la porte derrière eux. Guéron se releva en se rembraillant.

– Monsieur le président, Zanouk Batan, un ancien camarade de l’ENA.
Guéron se rendit compte que sa main droite pensait toujours tenir un joint. Il décontracta ses doigts en baissant le regard.
– On allait s’enculer, monsieur le président ! dit Zanouk en un clin d’oeil.
Guéron s’étouffa.

– Il a de l’humour, votre ami, dit le président en hochant l’épaule.
– Oui. Par chance je ne le croise que tous les dix ans.
Guéron se croyait enfin sorti d’affaire en indiquant le chemin de la porte à Zanouk d’un geste de la main. Mais le petit malaisien, alors au pas de la porte, courut comme un chat et bondit sur le thorax de Guéron qui s’écroula sur son bureau en criant, renversant sur son passage stylos, presse papiers, dossiers et ordinateurs.
– Non mais ça va pas bien, dit le président…
– ZANOUK ! Mais arrête putain ! On fait pas ça devant le président ! Sale gamin ! T’as 65 ans !
Zanouk se chargea encore de frotter le cuir chevelu de Guéton en riant comme un forcené, prenant le président à témoin de sa suprématie physique sur le vieil énarque.
– Monsieur le président, il faut le convaincre de me vendre ses tableaux !!
– JAMAIS ! cria Guéron.

Zanouk défit la ceinture de Guéron et lui baissa jusqu’aux chevilles, ses balloches apparurent et Guéron se rhabilla en jurant.
– Zanouk, barre-toi maintenant, j’ai du travail avec le président et tu me fais chier, je te jure que j’appelle un garde répu pour te coller une balle dans la t…
Zanouk s’inclina et envoya un coup de mocassin en plein visage de Guéron, qui s’écroula à nouveau sur son bureau. Puis le malaisien, en prenant soin de ne pas plus froisser son costume, monta sur la table pour s’asseoir à cheval entre les omoplates du porte-parole de l’Elysée. Le président riait.
– Ben battez-vous un peu, Guéron…
– Monsieur le président, c’est un minus, il est très agile.

Zanouk  se saisit de l’oreille de Guéron et la tourna comme s’il démarrait une Harley. Guéron hurla. Zanouk se pencha vers l’oreille et insista :
– Vends moi tes deux putains de marines ou je te dépèce à l’ouvre-lettres.
– NON !
– 500.000 euro. En cash si tu veux.
– En cash ? Tu es fou ! Si ça se découvre j’aurai toute les peines du monde à justifier 500.000 pour ces deux croutes !
– File-moi ton rib de plouc alors, et file-moi tes deux tableaux.
– Non !

Zanouk tourna l’oreille de 20 degrés supplémentaires. Guéron hurla de plus belle.
Le président s’impatientait en envoyant des textos.

– Bon Guéron, votre ami est formidable, mais décidez-vous là. On a du boulot.
– T’entends le président ? dit Zanouk.  Vous avez du boulot ! Redresser la France tout ça ! Vends-moi tes tableaux !
– Non !
– Tu vas me les vendre tes deux croutes.
– Non !

Zanouk tourna encore l’oreille, la rotation devenait vraiment inhumaine.
– Alors, tu me les vends ?