14 Mars 2014, 4 heures du matin

Le Président de la République débarqua dans la salle de réunion de l’Elysée en imperméable et mules, et l’espace d’un instant le général Ronceau imagina son illustre chef des armées en ouvrir les pans pour révéler à toute la cellule de crise estomaquée sa zigounette en clamant un slogan de type “vous vouliez la voir ? La voilà !”.
Ronceau ferma très fort les yeux pour chasser cette idée de son esprit.

Hollande plaqua ses cheveux sur son crâne en s’excusant pour sa tenue, et demanda calmement au général ce qui motivait cette réunion d’urgence. Ronceau s’exécuta.

– Monsieur le Président, un incident que nous avons classé d’une gravité niveau 5, et immédiatement placé sous secret défense, s’est déroulé à 23h00 précises au centre d’archivage de Plessy-Les-Combes.
– C’est ici que les comptes des partis ont été déposés sous scellés ? remarqua Hollande.
– Affirmatif, monsieur le président. A 19h00 ce soir, en présence des medias, deux nouveaux box ont accueilli respectivement les comptes du parti socialiste et de “Debout la France”, répondant à l’appel de monsieur Copé.
– Quelqu’un a commis une effraction sur ces box ?
– Négatif, monsieur le Président.

Le ministre de la Défense coupa Ronceau :

– Chaque box est gardé par un agent de police, et l’ensemble du bâtiment bénéficiait d’un dispositif de sécurité conséquent – niveau 3. Un dispositif déjà présent à l’année en raison de la présence sur le site de Plessy-Les-Combes d’une annexe d’un centre de recherches atomiques inconnu du public.
– Que s’est-il passé ? demanda le président d’un air las.

Ronceau consulta ses notes.

– A 22h, une alerte de sécurité au risque qualifié de minime a été enregistré sur le site d’étude atomiques attenant au centre d’archivages – pendant 17 secondes un rayonnement radioactif a été émis suite à la surcharge d’un moteur d’analyses. Le différent personnel présent dans le bâtiment lors de cet incident est actuellement sous contrôle médical, y compris les agents présents à la garde des box. La fuite a été rapidement maîtrisée par l’ensemble du personnel scientifique.
– Bien. Vous m’avez réveillé pour ça ?
– Non monsieur le président. A 23h, le policier en charge de la surveillance du box contenant la comptabilité de l’UMP, l’agent Barbot, a perçu un fort bruit de l’autre côté de la porte. Il l’a signalé immédiatement – son rapport mentionnait “ des bruits de feuilles et de boites qui tombent, comme si un individu avait pénétré dans le box”. Les bruits se sont interrompus pendant 2 minutes, puis ont laissé place à un immense….rugissement.

Hollande regarda son ministre de la Défense d’un air interrogateur, cherchant dans ses yeux un quelconque indice sur la santé mentale du général des armées.

– Un rugissement ?

13 Mars 2014, 23h10

Le rugissement qui secoua l’étage entier pétrifia Barbot. Il observa la porte du box en posant la main sur son arme de service. De l’autre, il actionna son talkie.

– Mullier ? Tu as entendu ?
– C’est quoi ce bordel ? demanda Mullier sous les crachotements.
– Y’a un truc qui a rugi dans le box de l’UMP.
– J’entends des bruits dans mon box. Des bruits de feuilles.
–  Au P.S ?
– Oui, Box P.S.
– Ludo, tu entends quelque chose dans ton box ?
– Des petits bruits ouais.
– Mais fuck putain, c’est quoi ce bordel.

Sans raison valable, Barbot imagina tout de suite une action écoterroriste. Son scénario le plus plausible, dans la panique et l’urgence de la situation, était que des activistes avaient réussi à pénétrer dans les box par Dieu sait quel moyen, pour voler la compta des partis et y laisser des fauves.
Il approcha son visage de la porte du box pour déceler les nouveaux bruits qui s’en dégageaient.

– J’entends des sons bizarres…spongieux, dit-il au talkie. Et une putain de respiration de gorille.

Barbot allait émettre une nouvelle précision quand la porte blindée s’envola comme une feuille et le projeta contre le mur du couloir. Sa tête heurta le mur et il s’écroula mais ne perdit pas connaissance. Il ramassa son arme et la pointa vers ce qui venait d’apparaître à la sortie du box. Il en profita pour s’uriner dessus.

Aucune créature de science-fiction qu’avait connu Barbot n’approchait la masse informe et bleuâtre de la chose qui lui faisait face – hormis peut-être les monstres des marais des films américains des années 50. Un gigantesque hippopotame à six pattes, debout, gélatineux et bleu azur, dégoulinant d’un gel coloré et visqueux le fixait du regard. L’ensemble de son corps parcouru de tentacules ne passait pas le chambranle de la porte. Le monstre lutta pour passer en force, son corps mollusque s’insérant dans l’encadrement pour sortir du box.

Barbot tira trois balles, qui s’absorbèrent dans le corps en gelée de la bête sans qu’elle ne manifeste le moindre signe d’inconfort. Incapable de passer le chambranle, elle martela le mur de ses gigantesques pattes, épaisses comme des troncs d’arbres, et l’ensemble du chambranle sauta dans un nuage de poussière.

– Je suis mort les gars, dit doucement Barbot.

L’hippopotame-pieuvre s’approcha lentement de Barbot et se pencha au dessus de lui pour le renifler. Des filets de matière visqueuse coulaient de sa tête entière et tombaient par morceaux sur l’uniforme de Barbot entièrement blanchi par la poussière et le plâtre.

Le monstre poussa un grognement, renifla dans l’air, et poursuivit sa route dans le couloir, en direction de la section de Mullier et du box P.S.

 

14 Mars 2014, 4 heures 20 du matin

– Du box P.S ? demanda le Président.
– Affirmatif, monsieur le président. Lorsque la bête arriva au niveau de l’agent Mullier, celui-ci était déjà en proie à une deuxième créature sortie du box du parti socialiste. une sorte de “limace rose géante dotée de nombreuses pointes se terminant de bulbes lumineux, et dégageant un gaz parfumé étourdissant”.
– Qu’est-il arrivé à l’agent Mullier ?
– Rien. Ces créatures ignorent les hommes. Elles se cherchaient. La créature bleue de l’UMP, à la vue de la créature B, a renouvelé les rugissements et s’est précipité en sa direction. Un combat massif et destructeur s’en est suivi dans les couloirs du centre d’archivage. Deux pans de murs ont été entièrement détruits par la force des coups assénés.
– Le combat continue ?
– Non monsieur le Président, enchaîna le ministre de la Défense. Il y a deux heures, l’armée est intervenue. Ces créatures ne réagissant absolument pas aux balles, un système de filets mécaniques a été déployé et elles ont pu être maîtrisées, non sans d’extrêmes difficultés. Les trois créatures sont actuellement captives, dans des cellules triple blindage aux quartier généraux de l’armée. Elles ne nécessitent aucun traitement. Visiblement ces monstres s’autonourrissent très bien.

Hollande s’enfonça dans son fauteuil.

– Les trois créatures ?

Ronceau regarda ses notes.

– Oui, une troisième créature est aussi apparue dans le box “debout la république”, un bouquetin translucide parcouru de ventouses, mais l’animal, de taille extrêmement réduite, n’a pas pu sortir du box. Il semblerait, selon nos premières conclusions, et aussi surprenant que cela puisse paraître….que les créatures apparues dans les box sont de taille proportionnelle….à la taille du parti en popularité.

Le silence envahit la salle de réunion. Le regard du président ne laissait rien dégager.

– Qui a gagné ? demanda-t-il.
– Pardon, monsieur le président ?
– Qui a gagné entre notre monstre et le leur ?
– Je…je ne comprend pas votre question.
– Entre le monstre du box UMP et le monstre du P.S ?
– Hé bien… Je crois que lorsque les filets ont été déployés, la limace rose s’était fixée sur la tête de la créature bleue grâce à une attaque de ses bulbes, et le monstre U.M.P était K.O.

Hollande ne put réprimer un sourire.

 

6 Mai 2022

Les 350.000 spectateurs du Nouveau Stade de France s’enflammèrent sous les sifflements et les hourras lorsque Chalumex – le chameau gorille du Front National – pénétra dans l’arène, se déplaçant avec une rapidité extraordinaire et dans un sillage de bave acide vers Taupou, la taupe géante du parti de gauche.

Les stats affichées sur le panneau géant dominant l’arène laissaient peu de chance à la taupe sur le papier pour ces quarts de finales. Toute la campagne 2022 avait contribué à nourrir les bêtes respectives de chaque parti. Depuis la découverte des monstres, les techniques de dressage avaient évolué à une telle vitesse que sur la dernière année de campagne, grâce à un ensemble de promesses électorales et de sondages alarmants sur la sécurité, Chalumex avait naturellement pris 235 kilos de muscles en quelques mois. Sa technique d’étouffement/caresse avait terrassé en finale des législatives Hippopieuvre, le champion de l’U.M.P.

Depuis ce cuisant échec, le parti de Copé avait énormément musclé sa campagne – l’absence de votes au suffrage universel avait permis beaucoup plus de liberté dans les promesses. Ce qui nourrissait les bêtes était moins le réalisme ou la faisabilité des promesses que leur impact auprès des humains. C’était ce qui nourrissaient les bêtes. Elles sentaient l’enthousiasme. Elles évoluaient grâce à l’enthousiasme et à l’espoir.

Un camion remorque lumineux vint ramasser le corps sans connaissance de Taupou, assommée en six secondes par Chalumex – nouveau record. Chalumex rentra dans son box pour le prochain tour.

Une musique retentit dans le stade pour faire attendre les spectateurs. Un film animé apparut à l’écran et annonça le prochain match. Bulbimace, le champion du P.S, qui avait repris du poil de la bête ces dernières années, allait affronter le nouveau monstre inconnu du parti libéral, Aiglisson, un aigle-hérisson cultivé l’année dernière au centre d’élevage politique de Plessy-Les-Combes. Les techniques de création avaient été automatisées et maîtrisées.

L’évènement avait été fortement médiatisé. Le chef du parti libéral avait déposé sa comptabilité et son programme électoral dans le box, maintenant sous plexiglas blindé.

Le rayonnement radioactif avait été émis au-dessus des cartons, et au bout de 17 secondes, dans un déluge de feuilles volantes et un cri déchirant, l’animal était apparu.

Le Monde avait récemment consacré un dossier spécial de 10 pages sur Aiglisson et les attaques spéciales qu’il renfermait. Une rumeur d’attaque bec-plongeur semait d’énorme doutes au sein des partis. L’ensemble des politiques de gauche redoutait une défaite des les huitième de finale contre Aiglisson, et avait proposé une réunification des programmes de gauche dans un même box, pour une version évoluée et plus musclée de Bulbimace. Il aurait pu profiter du déplacement souterrain de Taupou, du parti de gauche. Mais au dernier moment, Mélenchon s’était défilé, et l’évolution avait été annulée.

L’ensemble du stade retint sa respiration lorsque le speaker annonça l’entrée dans l’arène d’Aiglisson, et sa première apparition publique.

Nul doute que ces nouvelles élections présidentielles allaient se révéler trépidantes.