Un petit conte de Noël écrit sous corticoïdes.
La lecture de cette news en préalable est un plus.

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Ils ne frappaient plus à la porte, ils tambourinaient.
– Garcia ! Ouvre, allez quoi, ils vont bientôt arriver !
– Laissez-moi tranquille bordel ! criai-je à travers l’appartement. C’est fini, c’était une fois, c’est fini là. Stop. Rentrez chez vous, allez à l’école, je sais pas, merde.
– C’est les vacances !

Je me raclai la gorge après avoir crié, comme si la résonance de ma voix y avait brisé une mini croûte de sel dégueulasse. Je tentai de me rappeler à quand remontait la dernière fois où j’avais crié. A la victoire des Giants au Superbowl, en 2011 ? Il y a déjà 6 ans ?

Les coups à la porte se multiplièrent.
– Garcia vieux shnock ! Allez quoi !
– Je vais tirer à travers la porte si ça continue.

La phrase fit son petit effet pendant une trentaine de secondes, le temps d’enfiler mes mocassins. Puis les coups reprirent.
– Ils vont me la défoncer.

Depuis le jour où j’avais eu la mauvaise idée de leur montrer le truc, ces gamins avaient pris une place complètement déraisonnable dans mon quotidien. M’obligeant à faire des choses que j’avais soit désapprises en dix-sept ans de veuvage, soit jamais apprises – comme par exemple, parler à des gamins. Je ne savais pas tellement comment leur parler. Même parler tout court était une chose que j’avais progressivement oubliée. Ca m’allait.

Même jeune je savais à peu de choses près qu’à 70 ans je ne parlerais plus beaucoup. J’étais déjà dans l’économie de mots. Et pourtant je fréquentais des gens à l’époque, même en dehors de l’armée.

– Garcia ! C’est Hector ! cria le gamin.
– Qu’est-ce que tu veux que ça me fasse ton prénom ?
– J’habite en-dessous !
– Content pour toi !
– Garcia, ils arrivent dans deux minutes, allez !
– Je m’en fous.
– C’est Noël dans 3 jours, merde !
– L’année dernière j’ai eu que dalle pour Noel ! Des chaussettes toutes pourries avec les Simpson ! ajouta un petit.

Rires derrière la porte.

– Allez quoi, il va y en avoir plein, reprit Hector.

Mon silence donnait le début de mon approbation. J’ai jeté un coup d’oeil au miroir de la salle de bain, un vieux barbu et maigre comme une trique.
La porte subit une nouvelle salve de coups de paumes, tout l’appartement tremblait.

– C’est bon, c’est bon, ok. Mais je ne sais pas si je vais réussir. Allez, descendez, magnez-vous.

J’entendis les gamins pousser des hourras, se claquer dans les mains et déguerpir du couloir pour s’engouffrer vers le rez de chaussée en survolant les escaliers. Je ne me souvenais pas non plus de la dernière fois ou plusieurs personne m’avaient acclamé en même temps.

Je me suis penché avec difficulté sous mon lit et j’ai pris la mallette pour l’ouvrir. J’ai sorti les pièces du XM21 et me suis mis à assembler l’engin. Cette fois les cris des gamins étaient dans la rue. Ils m’appelaient.

– Dépêche-toi Garcia, ils vont arriver !
– J’arrive, j’arrive, bande de sales merdeux.

J’ai inséré le chargeur de 20 cartouches, et mis mes lunettes de vue, pour enfin apparaître à la fenêtre comme le pape, sous les acclamations des gosses dans la ruelle dégueulasse.

– Coucou mes petits lutins, c’est Papa Noël !

J’ai enfilé un anorak, puis j’ai installé mon petit coussin pour m’agenouiller dessus, posé le canon du fusil sur le rebord de la fenêtre et sécurisé mon épaulé. Le réglage de la lunette me rappelait à quel point mes yeux étaient resté intacts. Pas un brin de vent dans New York, miraculeux en plein Décembre.

On les entendit arriver. Un bourdonnement lointain. Depuis l’Est.
– C’est la première livraison de 9h30 ! cria un petit.
– Y’en a plein, Garcia ! au moins une cinquantaine ! enchérit Hector.

J’ai dirigé la lunette vers l’horizon pour apercevoir la nuée de drônes.
– Y’en a bien plus que ça les gars, criai-je par la fenêtre. Y’en a presque cent. Etalés sur cinq cent mètres. On dirait qu’ils font la course.

La carrosserie noire des drones, portant sous leurs pinces les colis en plastique jaune, leur donnaient l’apparence de sales guêpes. Ils avaient des gueules de méchants robots qu’il fallait éradiquer. Je me mis à m’imaginer rappelé au service à 70 ans, en raison de mes exploits passés en opérations, pour lutter contre des putains de guêpes aliens.

Il ne fallait pas que je les abatte trop tôt, sinon ils tomberaient du côté du block d’Edmonton, l’affront suprême pour mes petits blacks de Furney. J’ai calé dans mon viseur le premier de la course. Les paquets étaient tous identiques et de même taille, c’était un peu la loterie.
– Garcia, il va falloir que tu …
– Chut ! il doit se concentrer. Il a 30 secondes pour nous en ramener un max. La ferme.

Quand le premier drone a dépassé la tour AT&T, j’ai commencé à tirer. Les 4 premiers coups ne donnèrent rien, deux balles traversèrent une fenêtre de l’immeuble – on s’en branle. Puis je fis mouche.

La 5e balle explosa deux hélices latérales du premier drone, il tomba en flèche dans la rue sous les cris des gamins, dont une partie du groupe se mit à tracer comme une meute de bassets anglais en direction du tas de ferraille pulvérisé au sol.

Puis j’alignai les tirs. Un deuxième et un troisième drone se fracassèrent l’un dans l’autre et tombèrent enlacés dans un grincement de dentiste, l’hélice du premier fraisant le cul du deuxième.

Les vingt secondes qui suivirent furent les plus importantes. Sous les cris incessants des gamins et le bruit des hélices, dans le vrombrissement de la horde allant crescendo, j’abattis cinq autres appareils. Les opérateurs des drones venaient de comprendre l’embuscade et tentèrent de zizager à travers la ligne d’immeuble, mais y’avait pas meilleur moyen pour m’exciter.

Leur camera ne me voyait pas, certains se mirent à longer ma crète pour survivre, j’aurais pu en buter à la crosse quand le nuage de drones passa dans un vacarme assourdissant devant moi. Derrière leur sillage désespéré, je pus encore planter 5 balles dans leur cul en ferraille. Un des drones s’abattit sur le toit d’une camionnette de fleuriste qui pila en crissant de toutes ses forces.

– Quatorze ! criai-je à la rue. Il n’y avait plus aucun gamin en bas. Ils étaient déjà en train de courir comme des dératés vers les cadavres fumant des drones.

J’ai posé mon fusil contre le mur et sorti ma pipe électronique en matant à la lunette les gamins ouvrir leurs cadeaux. Certains poussaient des cris de déception en tombant sur des chaussettes ou des foulards en soie. D’autres brandissaient fièrement des jouets ou des tablettes.

Je vis Hector se rediriger vers l’immeuble, portant triomphalement deux caissons jaunes, je ne savais pas ce qu’il y avait dedans, mais des rubans dépassaient en tout cas.

– Hé Hector !
– Vous avez été trop fort Garcia ! Tous les matins faut le faire !
– Nan, nan, ils vont m’envoyer en taule si ça continue. Joyeux Noël.
– Merci !
– Et si tu trouves dans des trucs une bouteille de whisky et qu’elle a survécu, je la veux bien. J’ai très envie de boire un coup.